15 octobre 2015

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Par Paule Mackrous

Derrière la vitre, neufs carnets ouverts s’animent sans relâche. Leur éclairage dicte le rythme, ordonne la « lecture », car grâce à un fin découpage au montage, les pages s’illuminent les unes après les autres ou en alternance par petits groupes. La symphonie visuelle a un chef d’orchestre, un élément qui crée une cohésion entre les séquences. Celui-ci est visible dans l’œuvre : c’est le corps.

Dès les premiers instants, l’image d’un dos, nu, occupe les deux pages d’un carnet. La colonne vertébrale coïncide avec le centre du livre. Comme pour souligner cette corrélation, une main dessine un trait le long de la ligne imaginaire. Le corps devient alors le carnet, et la peau, la nouvelle surface d’inscription. Dans d’autres carnets, une main munie d’un crayon opacifie les pages alors qu’une autre tente en vain de capter le contour d’un sac de plastique tournoyant dans sa rafale de vent. Plus tard, on effacera les traits. Ces différentes séquences mettent en scène une écriture qui n’est pas le fruit de l’agencement des mots ou des formes de manière définitive, mais qui résulte d’une action transitoire prenant racine dans le corps.

Le carnet, raconte Isabelle Beaulieu, a pour fonction de « surligner délibérément la beauté du désordre qui gouverne nos jours 1». Objet sur lequel est projeté un imaginaire en action, on y accumule des impressions, on y collectionne des observations. Si l’on tente d’y traduire spontanément son perçu et peut-être, par là, de le figer dans le temps, le carnet enrichit l’expérience bien plus qu’il ne parvient à la conserver. Il est une source d’éveil pour celui qui le tien parce qu’il pousse à porter attention. En même temps, il commande d’accueillir la perte, d’accepter de laisser dans l’ombre ce qui échappe au champ de vision et à l’expérience subjective. Les tentatives de capture et l’effacement des traits chez McDuff évoquent l’impossibilité de tout saisir, de tout garder. La vitre, qui nous tient à l’écart en même temps qu’elle nous inclut dans l’œuvre par son reflet, agit telle une protectrice de cette mémoire fragmentée, fragile et intime.

Comme le disait Heidegger : « Être réceptif à l’art, c’est revivre l’expérience du créer2 ». Les carnets de McDuff attirent notre attention sur l’acte de création. Par là, Carnets de capture nous rappelle qu’il faut surtout ne « rien pétrifier », qu’il faut penser toute chose sous l’angle de la mise en mouvement 3». Entre le monde du carnet comme objet et celui, imaginaire, qui se cristallise sur la surface de la page, il y a le geste corporel garant d’une pensée en actes, d’une expérience toujours renouvelée.

1 Isabelle Beaulieu. (2014). « Carnets d’écrivains, la présence au monde », Revue Les libraires, no 8.
2 Paul Audi. (2003). L’ivresse de l’art, Nietzsche et l’esthétique. Paris : Inédit, p.74.
3 Georges Didi-Huberman. (2002). L’image survivante : Histoire de l’art et temps des fantômes. Paris : Minuit, p.36