16 octobre 2018

After Fukushima – Paysages de la catastrophe

Par Paule Mackrous

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« Le paysage est une tension sans fondation » peut-on entendre dans les écouteurs de la vitrine de Topo. Ce vers est issu du poème Poétique de la post-humanité de l’artiste Philippe Boisnard. Récité dans la bande sonore de l’œuvre, il traduit à divers niveaux ce qui se déploie sous notre regard dans After Fukushima.

Un paysage est généré à partir d’une base de données d’environ 12 millions de tweets comportant le hashtag « Fukushima », créé par Jacques Urbanska. Ce sont les lettres noires ou blanches qui, par le truchement du programme informatique, forment les montagnes, les vallées, les plaines, d’un paysage en constant mouvement. Cela évoque du même coup le flux incessant de la parole et son pouvoir sur la perception d’un lieu comme sur l’attention qu’on y porte.

Que devient une ville une fois assaillie par un accident nucléaire? Si l’on avait à peine entendu parler de Fukushima avant 2011, le nom nous est aujourd’hui familier. Toutefois, il représente moins une ville du Japon et ses habitants qu’une centrale nucléaire endommagée par un séisme suivi d’un raz-de-marée.

Des lettres rouges jaillissent du coin de la vitrine au centre de la projection et forment un cercle évoquant le drapeau japonais, symbole identitaire par excellence d’une nation. Toutefois, ce cercle déborde, les lettres sortent du périmètre. Les déchets radioactifs ne connaissent ni nation, ni culture particulière. Ils quittent rapidement leur lieu d’origine et s’immiscent dans les particules de l’air et de l’eau bien au-delà des frontières.

S’ensuit une discussion internationale prenant la forme, entre autres, d’une déferlante de tweets. La visualisation des données s’inscrit ici dans ce que Lev Manovich décrit comme « un désir de prendre ce qui normalement échappe à l’échelle des sens humains et de le rendre visible et digestible [i]». Si le paysage permet de saisir l’ampleur et la mouvance de la tempête hypermédiatique du« Genpatshinsai[ii], il évoque également la difficulté à contenir ses répercussions au niveau environnemental. Le deux phénomènes vont de pair, mais pour un temps seulement : «quand cela arrive, tous les médias en parlent, et rapidement, ils se détachent, puis on n’y pense même plus [iii]», peut-on lire dans Awareness Act à propos de la catastrophe nucléaire. Alors que les médias ont déjà changé de point de mire, les déchets radioactifs ont atteint aujourd’hui plus du tiers des océans de la planète et ils continuent de laisser leur trace sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. On calcule un minimum de 40 ans pour éliminer les noyaux radioactifs des trois réacteurs désuets de Fukushima.

Cette actualité de la catastrophe est mise en scène dans l’œuvre par un appel à poursuivre la discussion aujourd’hui. Un code QR invite les spectateurs à partager un commentaire qui apparaît ensuite sur le paysage, puis dans un poème collectif qui défile sur le côté de l’écran

À la fois tragique et mécanique, la bande sonore de Philippe Franck fait le lien entre la machine défectueuse et l’affect, entre la description rationnelle et les répercussions personnelles, des tensions qui se trouvent au cœur de la prise de parole concernant l’accident nucléaire, comme de l’expérience de l’œuvre After Fukushima.

[i] Notre traduction. Lev Manovich, « The Anti-Sublime ideal in Data Art », Berlin, Août 2002, p. 12, récupéré de http://meetopia.net/virus/pdf-ps_db/LManovich_data_art.pdf

[ii] La rencontre d’un accident nucléaire et d’un séisme,

[iii] Notre traduction. « Fukushima Has Now Contaminated Over 1/3 Of The worlds Oceans (And It’s Getting Worse) », Awareness Act, récupéré de https://awarenessact.com/fukushima-has-now-contaminated-13-of-the-worlds-oceans-and-its-getting-worse/?=cc