21 février 2018

ISLAND : VITRINE, Olivia Mc Gilchrist
Paule Mackrous

 

« Créées aujourd’hui, détruites demain [i]», écrit Rachel Carson, les îles sont les lieux par excellence de la projection de nos imaginaires. Leur écosystème étant fragile, celui ou celle qui s’y aventure en change déjà un peu les paramètres. Dans Island : Vitrine, de l’artiste originaire des Caraïbes Olivia Mc Gilcrist, les îles deviennent des espaces virtuels d’expérimentations. On y prend conscience de la spécificité des corps ou des vêtements qui les couvrent, et de la manière dont cela interfère avec notre interprétation d’un lieu, d’une situation sociale, d’un récit.

Avec cette œuvre, l’artiste ouvre la vitrine dans tous les sens. Elle nous y fait d’abord entrer. Ensuite, munis du casque de réalité virtuelle, on se retrouve parachutés au cœur d’une vaste étendue d’eau dans laquelle flottent d’étranges solides : les îles! C’est nous qui les activons, notre regard les arrachant à leur inertie. Certaines d’entre elles s’avancent vers nous, puis se déploient pour mieux nous immerger. On se retrouve alors au cœur des vidéos 3D. Ces petits mondes encapsulés, réunis dans un même univers, se répondent les uns les autres.

La première île nous transporte à Tadoussac, sur une plage rocailleuse, traversée par le corps de l’artiste. Quel est l’effet de ce corps de femme blanche dans cet espace précis? Quel récit déploie notre imagination au contact de sa présence? Poursuivant le questionnement, la seconde île nous plonge dans un espace domestique aseptisé où le corps de la performeuse noire Ayana M. Evans rencontre celui de Mc Gilchrist. La première porte un catsuit, la deuxième, une robe rouge. Le rapport et les tensions entre les personnages forgent peu à peu un espace singulier. À partir des présences physiques, on interroge leur interaction dans l’espace social de manière plus générale, là où se jouent les privilèges, les inégalités sociales et les classes socioéconomiques auxquels ces personnages sont associés. La troisième vidéo nous place au cœur d’une plage en Martinique, dans l’univers de l’artiste Henri Tauliaut, lequel développe une démarche autour du bio-art, du vivant et de l’artificiel. Des personnages hybrides, pouvant évoquer des appartenances religieuses, se rencontrent et forment une sorte de ronde où, par cette collectivité, la diversité prend tranquillement le dessus sur l’étrangeté. Les personnages marginaux créent certes une ambiance particulière, mais un lieu est-il neutre?

Dans les trois cas, notre corps, bien qu’invisible, se trouve quelque part dans l’espace insulaire et engendre d’autres questionnements. Le monde virtuel, que l’on perçoit qu’avec les yeux, est plus abstrait que celui qu’on appréhende avec tous les sens[ii]. Comment nous situer dans ce que nous apprivoisons à la fois comme paysage duquel nous sommes exclus et comme endroit où nous nous trouvons? Qui sommes-nous par rapport à ces personnages, dans les récits qu’ils nous évoquent? 

Si les îles sont des espaces aux contours précis, le ciel qui les abrite, en revanche, semble infini. Les vers du poète martiniquais Édouard Glissant et ceux du Barbadien Kamau Brathwaite y défilent et pointent vers les possibles de l’œuvre encore en processus. Tel « un champ d’îles », pour reprendre le titre du poème de Glissant, Island : Vitrine engendre un univers propice à l’émergence et au côtoiement d’espaces performatifs.

 

[i] Rachel Carson, The Sea Around Us, New York, Oxford University Press, 1961, p.84.

[ii] Ken Hillis, Digital Sensation : Space, Identity, and Embodiment in Virtual Reality, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999, p. 75.