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Stratotype digital-ien – Isabelle Gagné

Texte par Paule Mackrous

 

Crédit photo : Isabelle Gagné

 

Au fond de la vitrine : un paysage aux couleurs et aux formes familières comporte de multiples horizons. Les écrans latéraux laissent imaginer le processus de transformation d’une photographie originale. Jumelée avec d’autres images trouvées sur Google selon une reconnaissance visuelle géomorphologique, la photographie se stratifie et devient « œuvre ». On invite à son tour le passant à sélectionner une photographie de paysage québécois parmi les siennes et à la téléverser sur le site web stratotype.ca. Il la verra quasi immédiatement se transformer dans le grand écran derrière la vitrine. Dans son petit écran, il est libre de la partager à sa guise.

Selon le philosophe Villem Flusser, personne ne pense nécessaire de déchiffrer la photographie parce que tout le monde croit savoir comment en faire. On cadre, on zoome et on oublie l’appareil ou le « black box » pour reprendre les mots de l’auteur[i]; on adopte ainsi l’idée que seul notre regard forge le point de vue que l’on a « choisi ». Pourtant, c’est aussi le dispositif, son histoire et la composition des images précédentes qui fabriquent ce que nous percevons comme un fragment de réel. C’est vers cette inévitable construction du regard photographique que le Stratotype digital-ien d’Isabelle Gagné attire notre attention.

Les images modifiées orientent notre regard à leur surface où nous expérimentons leurs qualités purement formelles. Si les vecteurs horizontaux sont accentués par la démultiplication du panorama, les vecteurs verticaux sont quant à eux soulignés par ce qui ressemble à des dégoulinures. Les images ainsi composées pointent vers les ressemblances avec les autres photographies de paysage. Au fil de l’expérience, ce sont des points de vue sur la nature qui émergent et qui convergent pour former un rapport au monde propre au médium photographique.

Si, d’un point de vue formel, l’image ramifiée déconstruit « l’œil unique [ii]» que suppose la vision perspectiviste de la photographie, au niveau sociologique, cette démultiplication interroge inévitablement l’origine et l’appartenance de l’image. Une fois téléversée, elle n’est ni la propriété du passant ni celle des utilisateurs du web dont les images apparaissent dans le moteur de recherche. Si l’on peut attribuer le résultat des transformations à l’artiste, c’est parce que, dans le flux et le côtoiement, les images se dotent d’une facture singulière. Cette signature est aussi le fruit du code créé par le programmeur, en l’occurrence Paul Gascou-Vaillancourt. Ainsi, le Stratotype digital-ien nous rappelle que l’image est, avant toute chose, une rencontre.

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[i] Villem Flusser. (2000). Towards a Philosophy of Photography. Reaktion Book. p.26

[ii] Erwin Panofky. (1975). La perspective comme forme symbolique. Paris. Minuit. p.42.

 

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TOPO offre en location son espace de production au 6e étage du 5445 de Gaspé pour des projets ponctuels, artistiques, professionels et événementiels. 

Le local comprend un espace principal de 1200 pi2 et un studio semi-fermé (adjacent à l’espace principal) de 265 pi2.
Accès internet, eau courante et cuisinette (frigo et mini-four) et espace de rangement. 
Accès à rapide à un monte-charge, un atelier de menuiserie et restaurant au rez-de-chaussée. Édifice accessible 24/7. 

Possibilité d’emprunter des équipements de base (son, éclairage, projection, photo, vidéo, rideaux de scène et petite scène). 

 

Pour voir une liste détaillée des équipements disponibles : 
www.agencetopo.qc.ca/wp/topo/equipements

Le prix et les conditions d’occupation sont à discuter.

 

Pour plus d’informations :

514 279-8676
direction@agencetopo.qc.ca

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Cabinets de curiosités – La fête

Cabinets_V2

Exposition en vitrine du 2 juin au 28 juin 2016.
Centre Wellington, 4932 Rue Wellington
Projet de création avec les artistes de TOPO, du Centre Wellington et du STUDIO jocool.
Soutenu par le programme culture et communauté de la Ville de Montréal.
www.AgenceTOPO.qc.ca/cabinets

 

Un cabinet de curiosités est un lieu où sont regroupés des objets choisis et disposés avec soin pour illustrer un thème, une histoire…

Pour sa deuxième édition, les artistes des cabinets se sont regroupés sous la thématique de La fête pour proposer une expérience visuelle et médiatique alliant le dessin, la sculpture, le slam, le street art, la vidéo et l’animation. Animés par cette idée, d’une « ride de bus », on vous convie à venir vivre l’expérience physique et sur le web, de ce phénomène de société où l’on est une multitude d’individualités unies les unes aux autres, souvent par défaut. Venez découvrir comment cohabitent ces différents univers intimes dans une installation collective multidisciplinaire.

L’art comme prétexte aux échanges

Pour la deuxième édition du projet Cabinets de curiosités la création était à son maximum ! Les coups de crayon fougueux d’Yves côtoyaient les mots rythmés de l’artiste invitée Marie Dauverné. Cette dernière a su partager sa passion du slam à travers divers ateliers d’écritures poétiques. Les sculptures intimistes de Philippe nous ont donné accès à des mondes fantastiques faisant échos à certaines histoires intimes abordées par le cinéaste Pierre Goupil, invité pour une présentation de son film Il ventait derrière ma porte. La pluralité des créations de Sylvie et Manon s’entremêlaient aux animations et aux textes touchants de Nathalie. Le papier mâché et la farine se sont envoyés en l’air entre les mains de Roger, Gustavo et Nicole. L’esprit vif d’Alex nous a fait redécouvrir le monde du jeu vidéo et la grande créativité de Johanne nous a transporté dans un univers sonore inédit. Avec l’arrivée du printemps, l’espace de création a accueilli l’artiste Fléo le temps de quelques ateliers de streetart où le airbrush et les canettes aérosols ont coloré l’espace.

Cette seconde année est certes celle de l’explosion des talents et de la diversité, mais elle est surtout celle d’un plaisir d’être ensemble. En prenant la création comme prétexte aux rencontres et aux discussions, c’est une ouverture sur soi et vers l’autre que nous avons la chance de partager. Une expérience riche et humaine qui se poursuit sur le web.

Par la mise en vitrine, nous entendons aussi la création de ce site internet qui vient donner une pérennité à ce travail effectué par les usagers du Centre Wellington avec les artistes médiateurs José Cortes Castillo et Gabrielle Lajoie-Bergeron, de février à mai 2016. La direction artistique est assurée par Joseph Lefèvre soutenu à la réalisation par Paul Gascou-Vaillancourt et Fabiola Kopanski. 

Ce projet a bénéficié du soutien de la Division de la culture, des bibliothèques et du développement social de l’arrondissement de Verdun et du programme Culture et communauté de la Ville de Montréal, dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel entre la Ville de Montréal et le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

À travers l’ensemble des activités, les participants ont eu l’occasion de s’exprimer de façon créative tout en s’initiant aux arts visuels à travers un travail de création collective.

Consultez notre chaîne YouTube pour voir l’ensemble des vidéos Cabinets de curiosités II

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Paule Mackrous

Au centre de la vitrine, des petites personnes de tailles diverses se tiennent debout, dans le noir, papier en main. Le spectateur familier avec la scène de la poésie québécoise reconnaîtra sans doute quelques figures lisant des extraits de leur poème. Si le titre de l’œuvre annonce un chœur, c’est à tour de rôle que chacune récite ses vers. Lors des lectures, une bande sonore créée par un artiste audio jumelé avec le poète se déclenche. Des vidéos originales et des animations typographiques sont également générées. Ces dernières réagissent aux modulations de la voix des protagonistes, formant des constellations de lettres, de mots, qui glissent sur le plancher et attirent notre attention au cœur de la vitrine et sur les textes.

L’effet est d’abord surréel : les projections vidéo des corps sur les prismes triangulaires donnent l’impression que ce sont des hologrammes. La vitrine devient alors un castelet, un petit théâtre dissimulant le metteur en scène et ce qui anime les personnages, c’est-à-dire le logiciel, l’algorithme, l’artiste. La puissance de l’œuvre réside dans cet effet de présence des poètes dont l’existence scénique est très minimale. En effet, ceux-ci, pratiquement immobiles, sont confinés à un espace défini. Plus petits que nature, ils intriguent; ils fascinent. On les dirait venus d’un autre monde pour nous transmettre un message important. Tel que l’écrivait la poétesse Roswitha de Gandersheim en s’adressant à une petite marionnette, la présence réelle ou la grandeur nature n’offriraient pas le même effet : « une marionnette comme vous y surpassera toutes les actrices de chair. Vous êtes toute petite, mais vous paraitrez grande parce que vous êtes simple. Tandis qu’à votre place une actrice vivante semblera petite [1]».

Si les petits personnages s’apparentent à des créatures imaginaires, artificielles, on n’assiste pas pour autant à un « procès de déshumanisation contre l’interprète vivant [2] ». La programmation morcèle les lectures sans transformer le poète en mécanique docile ou en pantin désincarné. Il conserve sa singularité, sa voix, ses inflexions, sa posture et, surtout, ses propres mots. Les traces de son intériorité sont bel et bien présentes et contribuent grandement à l’expérience de l’œuvre.

Le castelet de Simon Dumas et Mickaël Lafontaine crée ainsi un support physique à la poésie, un espace scénique à échelle réduite où peuvent se rencontrer les textes comme les corps des poètes. Au contact de cet espace, le spectateur tisse peu à peu des liens entre les idées, les expériences, les sentiments qui émergent des soliloques. C’est dans ce tissage que le chœur advient.

[1] Didier Plassard, L’acteur en effigie, Lausanne, Éditions l’âge d’homme, 1992, p.32.

[2] Ibid. p. 20

 

 

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Paule Mackrous

Dans la vitrine de TOPO, cent livres sont disposés sur des étagères. Ce sont toutes des œuvres d’écrivaines sélectionnées par des personnes s’identifiant comme femmes, trans ou queers. Assise sur une chaise, à l’intérieur du « bocal », l’artiste accueille ses invitées qui, tour à tour, offrent leur voix aux textes qu’elles ont choisis. Les entretiens et les lectures sont retransmis en direct, par webdiffusion, avant d’être archivés.

Bien plus qu’une simple liste de livres thématiques qu’on placerait à la fin d’un ouvrage, indexE de Sarah Chouinard-Poirier crée une situation de rencontres entre les œuvres, le public, les collaboratrices et l’artiste. Prenant l’aspect d’un studio de radio, la vitrine offre un espace pour la mise en place d’un réseau se consolidant au fil des discussions, des extraits de livres et des liens entre les ouvrages. La vitrine, vivante et aux multiples ramifications, donne l’impression que l’on a traduit le web dans le monde sublunaire.

Cette « délocalisation », qui consiste à transposer les modalités d’un média dans un autre ou dans le monde, génère une réflexion sur les modes d’action du média approprié. En déplaçant ceux-ci, on « les rend davantage visibles » et cela nous permet « de les envisager jusque dans leurs conséquences sur la vie quotidienne [i]». À cet égard, on sait que, sur le web, ce sont les œuvres les plus citées, les plus discutées et les plus référencées qui auront une plus grande visibilité. C’est à partir de tels critères d’indexation que l’échelle de valeurs des moteurs de recherche est générée. indexE nous rappelle ainsi que nos actions en réseau ont un certain pouvoir sur le rayonnement des œuvres littéraires.

Mais ce n’est pas suffisant!

Au-delà de cet aspect technique, ce qu’indexE met en scène, ce sont les processus de légitimation sans lesquels les œuvres sont vouées rapidement à l’oubli. Le sujet est encore d’actualité : les écrivaines sont moins représentées au sein des médias, des prix littéraires et des cours universitaires. Ainsi, c’est une sorte d’Index librorum prohobitum [ii] que nous présente Sarah Chouinard-Poirier, car il y a bel et bien un interdit entourant les œuvres littéraires écrites par des femmes : c’est celui d’être qualifiées de « grandes œuvres ». Refusant de subir les processus de légitimation et leurs instruments idéologiques, l’artiste s’approprie leur modalité afin de contribuer à rétablir un équilibre. Son œuvre, elle-même légitimée par le mécanisme de sélection du centre d’artistes, met en place un lieu, un réseau, une tribune et une archive qui, en marge des processus de légitimation existants, contribuent à garder les œuvres littéraires des femmes vivantes.

 

[i] Il s’agit d’un catalogue de livres interdits, car jugés immoraux par l’Église catholique.
[ii] Bourriaud, Nicolas. (2005). Postproduction. Culture as Screeplay : How Art Reprograms the World. New-York : Lukas & Sternberg.

 

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Paule Mackrous

Projeté dans la vitrine, un taureau au fond d’un enclos nous regarde droit dans les yeux. Trois cercles au sol présentent des « traces » de bottes de cowboy entourées d’un lasso, invitant le spectateur à y poser les pieds. Lorsqu’on s’installe sur le premier, le taureau s’avance un peu; sur le deuxième, il s’approche davantage. Alors que nous nous tenons sur le troisième, il nous charge, envahissant la surface vitrée. Malgré notre conscience du dispositif, notre corps réagit; il opère un mouvement de recul.

Toro embistiendo nous transporte complètement ailleurs, dans l’enclos face à la bête sauvage. Bien qu’improbable, cette expérience est ancrée dans nos imaginaires. Dans les représentations culturelles, il semble que le taureau cherche toujours à foncer sur quelqu’un. Viennent alors en tête ces images de ceux qui, courageusement, défient les animaux. Si l’œuvre a d’abord été créée dans le cadre du centième anniversaire du Calgary Stampede, un festival de rodéo de grande envergure, le titre réfère quant à lui à la culture de la tauromachie. On évoque ainsi deux personnages mythiques, soit celui du toréro combattant les taureaux dans l’arène en Espagne, puis celui du cowboy rodéo, figure identitaire de l’Ouest américain et canadien faisant l’épreuve de la monte du taureau. Par là, l’oeuvre touche un sujet universel, celui d’une masculinité qui serait définie par le courage, la maitrise de l’animal et la constante mise à l’épreuve du corps. Ces caractéristiques traduisent la liberté intouchable et viscérale qui entoure encore aujourd’hui la figure du cowboy : « this sense of personal freedom, then, is one important factor explaining the strong and almost universal appeal of the cowboy image[1]»

Toro embistiendo ne présente ni éloge, ni réquisitoire face à ces phénomènes. Si hommage il y a, celui-ci est rendu au magnifique animal sauvage. Si une critique émerge, c’est celle que génère notre propre réaction face à l’hostilité du taureau qui nous apparait ici liée à l’enfermement et au dressage auxquels on le soumet. L’enclos révèle alors un cowboy peu héroïque en ce qu’il compromet la liberté des uns pour mettre en œuvre ses prouesses.  Cette « conquête de l’animal [2]» devient à son tour une métaphore de la conquête sanglante de l’ouest marquée par la colonisation, la domestication et la suppression de ceux et celles qu’on appelait avec mépris des « sauvages ». Enfin, le cowboy fantasmé n’est certes pas celui, tant encensé, de la réalité. Tout comme le taureau dans son enclos, il a été déformé par les mythes et les légendes qui en ont fait un emblème.

L’œuvre de Jean-René Leblanc et Carl Spencer confronte bien plus qu’elle ne divertit ou glorifie. Elle s’éloigne du spectacle de rodéo où l’on expérimente, par procuration, le risque pris par le participant et où l’on admire sa bravoure. Elle fait plutôt émerger une multitude de duels sans réconciliation ni aboutissement possibles, entre l’humain et l’animal, entre le culturel et le sauvage, mais aussi et surtout, entre la beauté et la cruauté.

 

[1] Elizabeth Atwood Laurence (1989). Rodeo : An Anthropologist Look at the Wild and the Tame. Chicago. University of Chicago Press, p. 65
[2] Ibid., p.253.