9 février 2017

Paule Mackrous

Dans la vitrine de TOPO, cent livres sont disposés sur des étagères. Ce sont toutes des œuvres d’écrivaines sélectionnées par des personnes s’identifiant comme femmes, trans ou queers. Assise sur une chaise, à l’intérieur du « bocal », l’artiste accueille ses invitées qui, tour à tour, offrent leur voix aux textes qu’elles ont choisis. Les entretiens et les lectures sont retransmis en direct, par webdiffusion, avant d’être archivés.

Bien plus qu’une simple liste de livres thématiques qu’on placerait à la fin d’un ouvrage, indexE de Sarah Chouinard-Poirier crée une situation de rencontres entre les œuvres, le public, les collaboratrices et l’artiste. Prenant l’aspect d’un studio de radio, la vitrine offre un espace pour la mise en place d’un réseau se consolidant au fil des discussions, des extraits de livres et des liens entre les ouvrages. La vitrine, vivante et aux multiples ramifications, donne l’impression que l’on a traduit le web dans le monde sublunaire.

Cette « délocalisation », qui consiste à transposer les modalités d’un média dans un autre ou dans le monde, génère une réflexion sur les modes d’action du média approprié. En déplaçant ceux-ci, on « les rend davantage visibles » et cela nous permet « de les envisager jusque dans leurs conséquences sur la vie quotidienne [i]». À cet égard, on sait que, sur le web, ce sont les œuvres les plus citées, les plus discutées et les plus référencées qui auront une plus grande visibilité. C’est à partir de tels critères d’indexation que l’échelle de valeurs des moteurs de recherche est générée. indexE nous rappelle ainsi que nos actions en réseau ont un certain pouvoir sur le rayonnement des œuvres littéraires.

Mais ce n’est pas suffisant!

Au-delà de cet aspect technique, ce qu’indexE met en scène, ce sont les processus de légitimation sans lesquels les œuvres sont vouées rapidement à l’oubli. Le sujet est encore d’actualité : les écrivaines sont moins représentées au sein des médias, des prix littéraires et des cours universitaires. Ainsi, c’est une sorte d’Index librorum prohobitum [ii] que nous présente Sarah Chouinard-Poirier, car il y a bel et bien un interdit entourant les œuvres littéraires écrites par des femmes : c’est celui d’être qualifiées de « grandes œuvres ». Refusant de subir les processus de légitimation et leurs instruments idéologiques, l’artiste s’approprie leur modalité afin de contribuer à rétablir un équilibre. Son œuvre, elle-même légitimée par le mécanisme de sélection du centre d’artistes, met en place un lieu, un réseau, une tribune et une archive qui, en marge des processus de légitimation existants, contribuent à garder les œuvres littéraires des femmes vivantes.

 

[i] Il s’agit d’un catalogue de livres interdits, car jugés immoraux par l’Église catholique.
[ii] Bourriaud, Nicolas. (2005). Postproduction. Culture as Screeplay : How Art Reprograms the World. New-York : Lukas & Sternberg.