20 décembre 2018

 

Simulacre

Création : Guillaume Vaillancourt & Maxime Archambault
Texte : Paule Mackrous

 

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Dans la vitrine, plusieurs écrans présentent un ciel bleu traversé par des cumulus. Dans l’un d’entre eux, une femme, dont on aperçoit le profil, observe le ciel. Elle se retourne parfois brièvement vers le public, attirant notre regard vers l’objet de son attention. D’autres fois, elle quitte la scène, laissant toute la place au regard du spectateur.  Entre deux séquences célestes, des citations sont projetées sur les murs. Elles proviennent du célèbre article « Are We Living in a Computer Simulation? » de Nick Bölstrom dont la thèse est au cœur du propos de l’œuvre Simulacre, de Maxime Archambault et Guillaume Vaillancourt.

Cette thèse va comme suit : s’il y a une « chance substantielle pour notre civilisation d’atteindre le stade posthumain et que nous soyons alors en mesure d’exécuter des simulations du monde passé [1]», il est par conséquent possible que nous vivions déjà dans l’une de ces simulations. Le monde serait feint de manière si précise que nous n’aurions pas conscience de sa fiction.

Pour mettre en œuvre cette idée, les citations et le ciel bleu sont interrompus par des images de la nature contenant des glitchs, ou des défaillances informatiques, suggérant que les plantes, les insectes et les animaux pourraient bien être des simulacres. Ces images sont tirées d’un film des années 1940, This Vital Earth[2]. Un narrateur y dépeint le fonctionnement du monde naturel : des cycles de vie aux interactions entre les organismes qui le composent. Nous appréhendons toujours le monde à travers de multiples lorgnettes et, dans ce documentaire, le regard sur la nature est prédéterminé par le modèle écologique. Cela rappelle la proposition du philosophe Jean Baudrillard, selon laquelle nous vivons déjà dans une logique de simulation » qui « se caractérise par une précession du modèle, de tous les modèles sur le moindre fait [3]». La simulation s’oppose ainsi à la représentation puisque, contrairement à cette dernière, elle ne succède pas au réel, elle le précède. Si le monde naturel semble intelligemment conçu, c’est plutôt l’interprétation qu’en fait l’être humain qui engendre cette sensation de cohérence et qui nous permet de percevoir ce monde comme « réel ».

Le ciel, par sa vastitude et son mouvement constant, semble quant à lui insaisissable, impossible à simuler. Il nous permet de nous situer. Nous nous trouvons ici-bas et, tout en haut, il y a le monde céleste. Telle est la limite. Dans l’oeuvre Simulacre, plutôt que de regarder le ciel en levant la tête, nous l’observons en plongée. Ce n’est pourtant pas la vue que l’on a au-dessus des nuages, comme lorsque nous sommes à bord d’un avion. Nous nous trouvons ailleurs, dans un non-lieu qu’on pourrait appeler les cieux, non seulement parce qu’il y a plus d’un seul ciel, mais parce que le point de vue offert sur ceux-ci se situe en dehors du réel. C’est celui du créateur, celui à partir duquel nous questionnons et façonnons sans relâche les paramètres de ce que nous appelons la réalité.

[1] Nick Bölstrom, Are You Living in a Computer Simulation? Philosophical Quarterly (2003) Vol. 53, No. 211, pp. 243‐255 (Notre traduction).

[2] This Vital Earth, Encyclopedia Britanica Films, 1943.

[3] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Éditions Galilée, 1981, p.31.