17 May 2016

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Paule Mackrous

 

Deuxième phase d’un projet consistant à amalgamer de manière algorithmique les poèmes de St-Denys Garneau et d’Alain Grandbois, [Regards] et jeux dans les Îles de la (pensée mécanique) révèle le langage secret de la machine. Alors que la dactylo s’active pour saisir un texte hybride et incohérent, le papier défile et s’accumule à l’arrière de la vitrine d’exposition. Il continuera de s’empiler tout au long de l’exposition évoquant les possibilités faramineuses que permet la rencontre aléatoire des textes poétiques. Si l’être humain vient parfois à bout de ses ressources, il semblerait que la machine, elle, ne se fatigue pas d’inventer.

 

Le texte métissé a d’abord été présenté lors d’une exposition de l’artiste Maxime Boisvert. Les visiteurs étaient alors invités à biffer des mots afin de créer de la cohérence. Ces gestes intentionnels ont également permis de faire émerger des perles de poésie. Dans la vitrine de TOPO, un écran met en scène les corrections humaines en train de s’effectuer. Grâce au logiciel de l’artiste sans, le processus de correction qui se déroule à droite de l’écran trouve un écho dans des constellations de points présentées du côté gauche. La disposition des points correspond exactement à l’emplacement de la première lettre de chaque mot. Les constellations ont ainsi pour effet de diriger notre attention sur l’aspect graphique des lettres, des mots et des phrases qui se construisent et s’étiolent sous nos yeux. Ils deviennent des formes qui se meuvent dans un espace où ils occupent une superficie particulière.

 

Plusieurs voix s’entremêlent ici : les voix des poètes Garneau et Grandbois, mais aussi les multiples voix de ceux et celles qui ont cherché à créer du sens. Plus forte encore, il y a la voix de la machine avec son langage incohérent d’un côté, puis ses expressions graphiques de l’autre. « Tout ce qui échappe à la volonté n’est pas expression [i]», raconte Derrida. Serait-il juste de dire, dans ce cas, que seuls les poètes, les « correcteurs » et les artistes expriment quelque chose ici? Les machines sont-elles confinées simplement à la représentation de cette expression?

 

« La “représentation” ne survient pas à la présence : elle l’habite comme la condition même de son expérience.[ii]», écrit Derrida. Il n’y a pas de présence pure, mais que des signes. On entend le mouvement de la machine à écrire; on aperçoit ses touches qui s’enfoncent. Elles produisent, corrigent et diffusent ad infinitum des éléments de notre mémoire collective. Elles complètent elles-mêmes la boucle de production, laissant l’étrange sensation qu’elles sont autosuffisantes. Assimilant les actions humaines, elles forment une performance dans laquelle s’exprime leur voix singulière garante de leur effet de présence.

 

[i] Jacques Derrida (1967), La voix et le phénomène, Paris, Presses universitaire de France, p.75

[ii] Ibid., p.105