12 juin 2019

Les petites curiosités de Madame Chose

Création : Caroline Barber
Programmation : Mickaël Lafontaine

Texte de Paule Mackrous

 

 

Avec l’installation Les petites curiosités de Madame Chose de Caroline Barber, c’est le décor qui est au cœur de l’action! Il transforme la vitrine de TOPO en un étonnant boudoir qui possède une vie et un souffle bien à lui.

On dit d’un boudoir qu’il est un petit salon élégant réservé aux dames. Il apparait lors de la période de Régence en France, au XVIIIe siècle. Alors que le salon est réservé à l’expression masculine, le boudoir est le lieu par excellence des causeries intimes féminines à une époque où les femmes n’ont pas la parole publique.

Dans le boudoir de Barber, on s’imagine Madame Chose, jadis assise sur son menu fauteuil mauve, les pieds posés sur le tapis de gazon synthétique. Elle n’a laissé que quelques indices de sa présence, comme ce livre ouvert, puis retourné sur la tablette de la petite table à café. Sur cette table, où il est inscrit « Bar à Poèmes », on aperçoit un vieux combiné de téléphone à l’effigie de la voix d’une interlocutrice. Celui-ci s’harmonise avec l’étrange table-tournante qui évoque une musique malgré le silence ambiant.

Une présence imprègne donc cette pièce secrète dont la décoration dévoile des éléments de l’imaginaire intime de sa propriétaire. Ou peut-être s’agit-il des confins de son inconscient?

Si, à première vue, le boudoir de Madame Chose est coquet, à force de le scruter, il trouble par son surréalisme. Le décor rappelle des univers oniriques à la David Lynch, cinéaste qui racontait que « lorsqu’on regarde de plus près le monde, on y trouve toujours des fourmis rouges en-dessous. [1]» Ces « fourmis rouges », soubassements de l’univers de Madame chose, ce sont les portraits affichés aux murs: des créatures mi-humaines, mi-plantes ou mi-animales portant des habits d’antan. Parmi ceux-ci, on retrouve un diptyque animé. Des portraits hybrides défilent dans l’un des cadres alors que, dans son pendant, ce sont des vers qui se succèdent. Par ce décor, le boudoir devient le lieu des associations infinies, un endroit où l’on façonne sans cesse des cadavres exquis. Les personnes, les choses, les images et les mots n’y sont jamais figés. Prendre place dans le boudoir, c’est réinventer le monde et les éléments de la nature.

Notre seul contact avec cet univers, c’est une cloche de verre posée sur une tablette fixée au mur. Au contact délicat de notre main sur la cloche, les images et les vers changent à l’intérieur du diptyque qui se trouve derrière la vitre. Le dispositif interactif tactile agit ainsi comme une mise en abîme de la vitrine et plus précisément du boudoir. Le monde extérieur, c’est-à-dire ses conventions, ses règles, ses jugements, ses canons et sa linéarité, a bien peu de pouvoir sur l’activité qui émerge en ce lieu mitoyen. Entre la salle à manger et la chambre à coucher, entre le monde commun et le rêve, le boudoir ouvre un espace où, pour reprendre une expression de Tristan Tzara, « l’art s’endort pour la naissance d’un monde nouveau [2]».

 

[1] David Lynch, Notre traduction dans Ben St Georges, “Singular Visionnary : David Lynch”, The Rake. The Modern Voice of Classic Elegance, Décembre 2016, tiré de https://therake.com/stories/icons/singular-vision-david-lynch/

[2]  Tristan Tzara dans le manifeste « Proclamation sans prétention », Dada 4/5. Anthologie Dada, 1919.