19 septembre 2017

Stratotype digital-ien – Isabelle Gagné

Texte par Paule Mackrous

 

Crédit photo : Isabelle Gagné

 

Au fond de la vitrine : un paysage aux couleurs et aux formes familières comporte de multiples horizons. Les écrans latéraux laissent imaginer le processus de transformation d’une photographie originale. Jumelée avec d’autres images trouvées sur Google selon une reconnaissance visuelle géomorphologique, la photographie se stratifie et devient « œuvre ». On invite à son tour le passant à sélectionner une photographie de paysage québécois parmi les siennes et à la téléverser sur le site web stratotype.ca. Il la verra quasi immédiatement se transformer dans le grand écran derrière la vitrine. Dans son petit écran, il est libre de la partager à sa guise.

Selon le philosophe Villem Flusser, personne ne pense nécessaire de déchiffrer la photographie parce que tout le monde croit savoir comment en faire. On cadre, on zoome et on oublie l’appareil ou le « black box » pour reprendre les mots de l’auteur[i]; on adopte ainsi l’idée que seul notre regard forge le point de vue que l’on a « choisi ». Pourtant, c’est aussi le dispositif, son histoire et la composition des images précédentes qui fabriquent ce que nous percevons comme un fragment de réel. C’est vers cette inévitable construction du regard photographique que le Stratotype digital-ien d’Isabelle Gagné attire notre attention.

Les images modifiées orientent notre regard à leur surface où nous expérimentons leurs qualités purement formelles. Si les vecteurs horizontaux sont accentués par la démultiplication du panorama, les vecteurs verticaux sont quant à eux soulignés par ce qui ressemble à des dégoulinures. Les images ainsi composées pointent vers les ressemblances avec les autres photographies de paysage. Au fil de l’expérience, ce sont des points de vue sur la nature qui émergent et qui convergent pour former un rapport au monde propre au médium photographique.

Si, d’un point de vue formel, l’image ramifiée déconstruit « l’œil unique [ii]» que suppose la vision perspectiviste de la photographie, au niveau sociologique, cette démultiplication interroge inévitablement l’origine et l’appartenance de l’image. Une fois téléversée, elle n’est ni la propriété du passant ni celle des utilisateurs du web dont les images apparaissent dans le moteur de recherche. Si l’on peut attribuer le résultat des transformations à l’artiste, c’est parce que, dans le flux et le côtoiement, les images se dotent d’une facture singulière. Cette signature est aussi le fruit du code créé par le programmeur, en l’occurrence Paul Gascou-Vaillancourt. Ainsi, le Stratotype digital-ien nous rappelle que l’image est, avant toute chose, une rencontre.

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[i] Villem Flusser. (2000). Towards a Philosophy of Photography. Reaktion Book. p.26

[ii] Erwin Panofky. (1975). La perspective comme forme symbolique. Paris. Minuit. p.42.