7 février 2019

 

 

You

 


 

Création par Emma-Kate Guimond
Texte par Paule Mackrous

 

Plus d’informations sur l’installation

 

 

Une femme dans une robe aux allures futuristes se lève, puis se couche au sol. Elle se relève encore, puis se recouche. Elle répète cette séquence durant une heure à l’intérieur de la vitrine. C’est une projection-vidéo de la performance qui prendra le relais durant tout le mois de l’exposition. Nous y contemplons, en continu, ce geste familier devenir extraordinaire dans la répétition rapprochée.  

J’écris « séquence », comme s’il y avait là une linéarité, une succession de formes, mais il faudrait plutôt appeler cela un cycle. À un certain moment, il n’est plus possible de savoir depuis quelle posture le mouvement commence et avec laquelle il se termine. Entre le moment du corps étendu et celui du corps dressé, il y a le temps qui passe, mais aussi l’effort qui change. Malgré un visage neutre, un labeur devient visible au fil des minutes. Il se traduit dans la coloration de la peau, dans les petites oscillations musculaires et les légers tremblements du corps de l’artiste. S’il y a une linéarité, un dénouement, c’est là qu’ils se trouvent, car même le texte au bas de l’écran ne raconte pas une histoire. Il renvoie à un temps cyclique et au moment présent, comme si nous avions accès aux pensées décousues qui traversent l’esprit de la performeuse :

 

you lie down.

you stand up.

Plant watches.

You watch plant.

 

Il suffit de peu de temps pour qu’on anticipe avec elle son mouvement et que l’on devienne attentifs aux fluctuations du niveau d’énergie qu’elle y met. Conscients du lien que ces fluctuations entretiennent avec l’activité mentale, nous y voyons-là un langage. Emma-Kate Guimond a le regard tourné vers sa droite, où se trouve une plante en version animée : son interlocutrice. Tel que nous le rappelle l’artiste Ismene King dans son mémoire, c’est le geste ritualisé qui permet à « des modes alternatifs de comportements et de pensées de survenir[1] ». Il n’y a pas d’échange possible avec la plante, seulement un nouvel état d’esprit à atteindre par le mouvement ainsi ritualisé.

N’est-ce pas là le comportement d’une plante, émerger du sol pour finalement y retourner, s’adonner à ce mouvement sans aucune résistance? La plante qui ne peut se déplacer, mais simplement se dresser, se manifester, puis s’affaisser, tel que l’écrit le philosophe Emmanuel Coccia, « est la forme la plus intense, la plus radicale et la plus paradigmatique de l’être-au-monde. Interroger une plante, c’est interroger ce que signifie « être-au-monde[2] », écrit-il. C’est ainsi notre propre rapport au monde, qu’elle questionne :

 

Plant is wise and says :

“I know when you look at me, you are seeing something else”.

 

Par cette chorégraphie, l’artiste danseuse rassemble des mondes : celui du règne végétal et celui du règne animal, mais aussi celui de l’humain et du monde qu’il invente, comme ce « psychological fruit » animé qui s’impose subitement à l’écran ou encore ce « magenta gas » qui recouvre tous les éléments de ladite couleur et les ramène à une seule et même réalité. Cette réalité nous rejoint là où le damier de la vidéo s’unit à celui qui se trouve sur le plancher de la vitrine. L’artiste, telle la plante avec laquelle elle danse, nous interroge à son tour sur notre qualité de présence : « I know when you look at me, you are seeing something else ».

 


 

[1] Ismene King, The Influence of Ritual in Performance Art: A Retrospective and Correlational Analysis, Lancaster University, 2014, p.25. (Notre traduction)

[2] Emmanuel Coccia, La vie des plantes, une métaphysique du mélange, Paris, Éditions Payot et Rivage, 2016, P.17.